Politique

Ami musulman : au communautarisme, préfère la lutte sociale !

Mercredi 30 mars, Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l’enfance et des droits des femmes, déclenchait la polémique en assimilant les femmes voilées aux « nègres » (sic) américains ayant consenti à l’esclavage. Cette semaine, le Premier ministre Manuel Valls remet le couvert en affirmant vouloir interdire le port du voile à l’université. Les réactions ne se sont pas fait attendre. Les leaders d’opinion de la communauté musulmane montent au créneau et s’indignent de ces prises de position. Cependant, aucun ne s’interroge sur l’étrange temporalité de ces sorties médiatiques. Alors que la colère gronde à l’encontre de la loi El Khomri, que les rangs de la mobilisation grossissent et qu’un grand mouvement social semble se mettre en marche, c’est à nouveau le voile islamique qui focalise l’attention de l’opinion publique, au détriment de la question sociale. Et par leurs réactions, certains leaders d’opinion de la communauté musulmane risquent de faciliter la tâche du gouvernement.

Les discours portant sur un ordre républicain qui serait fondé sur une laïcité offensive se multiplient depuis quelques années. En affirmant répondre à un communautarisme tout aussi offensif, les néo-républicains dénoncent de l’islamisme dans toute expression de la foi. S’il est vrai que nombre de musulmans adoptent une pratique identitaire, l’erreur est bel et bien de réduire l’ensemble des citoyens de confession musulmane à quelques communautaristes zélés. Personne, d’ailleurs, ne s’interroge sur les racines de cette tendance à la lecture littéraliste et à une pratique très expressive. Car, comme le dit Valls, expliquer ce serait justifier.

« Deux camps s’emparent des débats publics, prennent en otage l’opinion publique et écrasent les questions sociales. »

Pourtant, l’affirmation systématique d’une laïcité, devenant parfois une bouée identitaire, entraîne chez des musulmans une réaction de repli identitaire pouvant paraître, à leurs yeux, légitime. Et alors que l’État ne produit plus de solidarité et laisse à l’esprit capitaliste le soin d’éduquer nos enfants afin de les conformer aux exigences du marché, la communauté musulmane représente pour certains le seul lien social. Dès lors, dans ce brouillard identitaire, on ne sait plus qui du communautariste ou du néo-républicain provoque la réaction de l’autre. La spirale est lancée et il s’agit surtout d’en sortir.

La montée des identitaristes

PRC’est ce que prétend vouloir le Printemps républicain (PR). Mouvement informel né sur les réseaux sociaux sous l’impulsion de l’universitaire Laurent Bouvet, le Printemps républicain prétend se démarquer de l’extrême droite, qui fait de l’islam la source de tous les problèmes, et de l’extrême gauche, qui empêche toute dénonciation de communautarisme en brandissant automatiquement l’accusation d’islamophobie. Dans les faits, le Printemps républicain voit malheureusement du communautarisme partout. Très rapidement, le PR a apporté son soutien à la “philosophe féministe” Élisabeth Badinter, qui revendiquait son bon droit à être islamophobe – sous couvert, toutefois, d’une critique du relativisme culturel prôné par la gauche depuis plus de trente ans, qui empêcherait de prendre conscience de la montée de l’islamisme radical en France. Il en a été de même avec Laurence Rossignol, l’auteur de la sortie médiatique : « Il y a des femmes qui choisissent [le port du voile, NDLR], il y avait aussi des nègres américains qui étaient pour l’esclavage. » Dans un communiqué sur Facebook, repris par Marianne, le PR regrettait l’utilisation du mot “nègre” tout en soulignant le « propos juste et courageux » sur le fond, de la ministre.

La Sociale

Si les néo-républicains réussissent à alimenter les peurs, ils ont la chance de trouver, en face, des musulmans qui acceptent d’en découdre sur le terrain identitaire. En effet, la majorité des leaders d’opinion de la communauté musulmane, actifs sur les réseaux sociaux, excitent leurs “followers” à coups d’indignation et de discours islamo-centrés : Palestine, Erdogan, hijab, nourriture halal, islamophobie, etc. Les excès des uns alimentent les excès des autres et on ne sait plus vraiment qui a commencé. Ainsi, deux camps s’emparent des débats publics, prennent en otage l’opinion publique et écrasent les questions sociales.

Quand les politiques manipulent l’opinion publique

Et c’est bien là que se trouve le piège. En réagissant émotionnellement aux attaques subies, certains musulmans font le jeu des accusateurs. Ne nous y trompons pas, il s’agit, pour les politiques, de détourner l’attention de l’opinion publique d’un mouvement pouvant s’inscrire dans ce qui s’est passé en Espagne avec les Indignados (rappelons que ce grand mouvement populaire a abouti à un réel changement du paysage politique en Espagne). Le 21 août 2003, la loi Fillon réformait les retraites, allongeant la durée de cotisation pour les fonctionnaires à quarante ans (comme pour les salariés du privé). Alors que les premières contestations se faisaient entendre, Chirac s’empressait de constituer une commission (nommée Stasi) pour réfléchir à l’application du principe de laïcité dans la République. Les médias reprenaient en chœur le sujet et la laïcité devenait LE problème numéro un des Français.

« Ce type de posture produit une fracture entre des individus appartenant à la même classe sociale, ayant en réalité les mêmes soucis : ceux de finir les fins de mois, de bien élever leurs enfants et de vivre en paix. »

LutterDepuis plus de trente ans, le libéralisme poursuit la marchandisation étape par étape, de tous les pans de notre société, de la santé à l’éducation en passant par le sport et la famille. Sous l’impulsion d’une néo-libéralisation à deux vitesses, une grande partie des Français, toutes confessions confondues, voient leur situation se fragiliser. Alors que de nombreux musulmans font partie de ces gens ordinaires qu’Orwell décrit comme ceux qui courbent l’échine devant un patron ou frissonnent à l’idée du prochain loyer, et qu’ils devraient être au premier rang de la critique radicale du capitalisme en pleine émergence, certains préfèrent se focaliser sur les pratiques et revendications d’ordre communautaire en occultant totalement la dimension sociale. Ce type de posture produit une fracture entre des individus appartenant à la même classe sociale, ayant en réalité les mêmes soucis : ceux de finir les fins de mois, de bien élever leurs enfants et de vivre en paix. Et c’est ce type de fracture identitaire qu’exploite sans vergogne cette nouvelle vague d’intellectuels, d’universitaires et de journalistes (toujours issus des classes bourgeoises). Zemmour, Finkielkraut, Bouvet et consorts alimentent les peurs en désignant les musulmans “trop pratiquants” comme des islamistes voulant imposer leur mode de vie et étant de potentiels dangers terroristes. Répondre aux attaques répétées des néo-républicains ne fera, aux yeux de l’opinion publique, que valider l’idée que les musulmans représentent un groupe spécifique avec des préoccupations et des intérêts différents de ceux de nos concitoyens.

Voilà pourquoi les leaders d’opinion musulmans portent aujourd’hui une grande responsabilité. Il se peut que nous vivions un moment historique. Il est temps que les musulmans soient à la hauteur des principes d’une religion prônant en premier lieu la solidarité et la justice sociale. Face à la montée de l’islamophobie, c’est par leur engagement au quotidien dans les combats communs que les musulmans normaliseront leur présence.

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