Société

Pier Paolo Pasolini : « L’Église doit passer à l’opposition »

De la condamnation radicale de la société de consommation à la défense des petites gens et de leurs cultures, il y a plus d’un point commun entre le réalisateur Pier Paolo Pasolini, que la critique qualifiait volontiers de “pas très catholique” et le souverain pontifical actuel qu’on aurait pourtant bien du mal à désigner de la même manière. En plus d’avoir vécu dans la même ville, quoique pas dans le même État, ces deux personnages emblématiques chacun à leur manière partagent largement une vision et un respect de l’humain contre ce(ux) qui les exploite.

pasolini-pier-paolo-matteoPier Paolo Pasolini et l’Église ont eu une relation plus que compliquée. Durant sa carrière de réalisateur et d’écrivain, Pasolini a été à de nombreuses reprises poursuivi par des associations catholiques : il fut, entre autres, accusé de pornographie après la parution en 1955 de son roman Les Ragazzi, d’obscénité après la sortie du roman Une Vie violente en 1959 et d’insulte à la religion d’État lors de la sortie en salles de son film L’Évangile selon saint Matthieu en 1963 ; film que Pasolini avait pourtant dédié au « glorieux pape Jean XXIII ». Paradoxalement, L’Évangile selon saint Matthieu reçut le Grand prix de l’Office catholique international du cinéma et de nombreux spécialistes considèrent le film comme un chef-d’œuvre du cinéma chrétien. Presque toutes ses œuvres furent l’objet de procès, de condamnations et d’interdictions.

Sans rancune !

Connaissant cet historique, il est surprenant de constater, à la lecture des Écrits corsaires, que Pasolini prenne la défense de l’Église catholique. C’est aussi la preuve de son honnêteté intellectuelle. Il y rappelle que les « fautes de l’Église ont été nombreuses et graves dans sa longue histoire de pouvoir ». L’Église a effectivement – entre autres – légitimé les régimes de Pétain, de Salazar et de Franco. L’écrivain chrétien Georges Bernanos n’avait d’ailleurs pas hésité à critiquer le comportement de l’Église lors de la guerre d’Espagne dans Les Grands Cimetières sous la lune. Comme le dit si bien Sébastien Lapaque, « si Pasolini conchie volontiers la religiosité hypocrite et conventionnelle de Rome et les nostalgies fascistes de l’Église, il n’en affiche pas moins la morsure de la foi dans ses poèmes et ses films. Ce qu’il reproche aux chrétiens, ce n’est pas leur christianisme, c’est le fait de ne pas être chrétiens, d’avoir renié le Christ dont il s’est pourtant employé à faire entendre la parole – sans y changer une virgule – dans Il Vangelo secondo Matteo[i] [L’Évangile selon saint Matthieu] ».

« L’Église pourrait être le guide […] de tous ceux qui refusent […] le nouveau pouvoir de consommation » Pier Paolo Pasolini

Pasolini écrit d’ailleurs que « l’Église doit passer à l’opposition contre un pouvoir qui l’a si cyniquement abandonné en envisageant sans gêne de la réduire à du pur folklore ». Il continue ainsi : « En reprenant une lutte qui d’ailleurs est dans sa tradition […] mais pas pour la conquête du pouvoir, l’Église pourrait être le guide, grandiose mais non autoritaire, de tous ceux qui refusent (c’est un marxiste qui parle, et justement en qualité de marxiste) le nouveau pouvoir de consommation qui est complétement irréligieux, totalitaire, violent, faussement tolérant et même, plus répressif que jamais, corrupteur, dégradant (jamais plus qu’aujourd’hui n’a eu de sens dans l’affirmation de Marx selon laquelle le Capital transforme la dignité humaine en marchandise d’échange). C’est donc ce refus que l’Église pourrait symboliser, en retournant à ses origines, c’est-à-dire à l’opposition et à la révolte. »catechisme-61107

Quand Pasolini, lui-même athée, propose que l’Église devienne un « guide », il ne souhaite pas pour autant que tout le monde devienne croyant. C’est Aldo Tortorella, ancien directeur de la Section culturelle du Parti communiste italien, qui en explique la raison en écrivant que « dans sa vie d’intellectuel, Pasolini a voulu choisir son camp […] aux côtés des pauvres, des opprimés, des marginaux et des exclus. Il a tiré de sa lointaine origine chrétienne un besoin de valeurs absolues qui ne l’a jamais quitté ». Pasolini semblait être fasciné par les pauvres et les marginaux. Il considérait le lumpenprolétariat comme une « société révolutionnaire analogue aux sociétés protochrétiennes, c’est-à-dire inconsciemment porteuse d’un message d’humilité ascétique à opposer à la société bourgeoise hédoniste ».

Un pape pasolinien

© Reuters/Tony Gentile

On retrouve de nos jours cette dénonciation de la société de consommation et la défense des plus pauvres chez le pape François. Dans À demain Gramsci, le politologue Gaël Brustier écrit : « Le pape François étonne. Élu en 2013, cet évêque de Rome venu du ‘‘bout du monde’’ [Jorge Mario Bergoglio est Argentin et est le premier pape issu du continent américain] a conquis le cœur de centaines de millions de croyants, de non-croyants, de catholiques et de non-catholiques. Ses gestes et ses paroles sont volontairement simples pour être compris par le plus grand nombre. » Il a marqué les esprits avec certaines déclarations peu orthodoxes pour un souverain pontifical : par exemple, sa fameuse phrase « Qui suis-je pour juger ? » à propos des homosexuels ou encore lorsque, lors de son discours de juillet 2015 à Santa Cruz en Bolivie, il a présenté le capitalisme comme étant le « fumier du diable ».

« Les efforts des scientifiques et des techniciens, qui essaient d’apporter des solutions aux problèmes créés par l’être humain, sont louables et parfois admirables. Mais […] ce niveau d’intervention humaine, fréquemment au service des finances et du consumérisme, fait que la terre où nous vivons devient en réalité moins riche et moins belle, toujours plus limitée et plus grise, tandis qu’en même temps le développement de la technologie et des offres de consommation continue de progresser sans limite. » Pape François

Comme Pasolini en son temps, le pape François s’inquiète de l’uniformisation du monde et de la destruction des cultures. Selon Gaël Brustier, ce dernier serait dans une démarche d’« évangélisation qui laisserait une large place aux cultures populaires et aux traditions locales ». Dans l’encyclique Laudato si’, le pape François écrivait : « La vision consumériste de l’être humain, encouragée par les engrenages de l’économie globalisée actuelle, tend à homogénéiser les cultures et à affaiblir l’immense variété culturelle, qui est un trésor de l’humanité. » L’encyclique publiée en juin 2015 a rencontré un véritable succès, on peut même parler de Laudato si’ comme d’un “bestseller” : plus de 150 000 exemplaires ont été vendus rien qu’en France deux mois seulement après sa sortie. C’est un succès d’autant plus exceptionnel que l’encyclique, libre d’exploitation, est disponible sur internet en intégralité et peut ainsi être publié par n’importe quelle maison d’édition. Le texte semble toucher un large public. En juillet 2016, lors des Journées mondiales de la jeunesse à Cracovie, le pape François aurait d’ailleurs célébré la messe devant au moins 2,5 millions de personnes selon les organisateurs. Lors de la messe finale, il a appelé les jeunes à s’engager, à être des « protagonistes de l’histoire ». Le pape a une position unique dans le monde, il est à la tête de l’Église catholique et, de ce fait, chacune de ses déclarations, chacun de ses gestes est relayé et commenté dans le monde entier. Sa capacité dà exprimer sa pensée avec des mots simples et de choisir de parler de thèmes universels – Laudato si’ est la première encyclique ayant pour sujet principal l’écologie et la sauvegarde de l’environnement – lui permet de se faire comprendre par le plus grand nombre et de diffuser des valeurs qui furent chères à Pier Paolo Pasolini telles que la justice sociale, l’humilité ainsi qu’une certaine décence.

Maël Omnès

Note :

[i] Sébastien Lapaque, « Pasolini contre la dictature hédoniste », Marianne, publié le 17 août 2013.

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12 réponses »

    • C’est vrai que Hollande, Obama et bien d’autres semblent n’avoir que des éloges à faire sur le pape François mais ils ne sont pas pour autant sur la même ligne, loin de là. Le pape François présente le dieu Argent comme le terrorisme numéro 1 à l’heure actuelle (qui vise-t-il à votre avis ?), il est contre la société de consommation et sa « culture du déchet », contre la PMA et GPA (pratiquées aux Etats-Unis et dans de nombreux autres pays). C’est un long combat à mener et les gens doivent prendre conscience de tous ces sujets (niveau éthique, moral…).

      • Le pape s’invite à la table des puissants comme jadis le curé de la commune était invité à partager la table du seigneur. On ne change pas une habitude prise depuis plusieurs siècles. Les religieux sont des hommes, il en est comme des autres, il y en a d’éminents et d’autres qui passent, profitent de la situation et répondent aux attentes sans toutefois faire de vagues, ça se saurait ! On l’a vu au cours des siècles et récemment pendant la deuxième guerre mondiale quand Pie XII bénissait les troupes allemandes en partance pour le front Est pour bouffer du rouge et tout récemment encore quand l’un de ses successeurs se contentait de prier pendant que les américains bombardaient l’Irak.
        Ils n’ont jamais empêché aucune guerre et ils en ont même provoquer… mais il serait trop long de vous en faire la liste.
        Quant à la vie elle-même, ils sont par essence contre l’avortement, même si la conception a pour origine un viol, contre la PMA même si rien ne s’y oppose, contre la GPA et par voie de conséquence contre l’adoption, contre l’euthanasie et le droit de mourir dans la dignité. La souffrance étant la règle à suivre quoi qu’il advienne… C’est tout juste si l’on peut appeler un médecin pour se soigner, puisque ça n’est pas naturel !

    • Le conformisme réactionnaire cathophobe m’agace.
      Il est mensonger d’écrire que l’Eglise n’a été proche que des gouvernants pour essayer d’avoir une influence qu’elle juge positive. Des gens d’Eglise et des croyants ont toujours été aussi du côté des rebelles dans les insurrections, en Amérique Latine et partout ailleurs ou presque. Quant aux massacres de l’histoire, il est criant qu’ils ont effectués par des athées militants fanatisés : Hitler, Staline, Mo, Pol Pot, etc.
      Regardons l’Histoire sous toutes ses facettes, dans la sérénité.
      QDVB ou plutôt QNNB 🙂 !

  1. Monsieur, nous pouvons être d’accord sur de nombreux points. Quoi que l’on puisse penser de ce pape, des papes précédents ou de la religion en générale, le plus important c’est que certaines idées soient diffusées. Il y a 1 milliard de catholiques dans le monde qui peuvent être influencés par ce que dit le pape. Toutes les télés du monde diffusent également ses propos. Alors quand une critique construite de la société de consommation est diffusée et peut être entendue par le plus grand nombre, je pense que ça ne peut être que positif et ça peut créer des débats intéressants (sur la protection de l’environnement par exemple).

  2. Merci à vous pour ce texte et ce rapprochement entre Pasolini et François.
    Que tant de catholiques, par leur attrait pour le pouvoir, l’Ordre et la visibilité mondaine, aient à ce point trahi le Christ; que tant d’athées, par leur lien instinctif au peuple et aux figures de pauvreté, aient pu être en acte, ses plus fervents disciples : voilà un vertigineux paradoxe (apparent) qui personnellement n’en finit pas de m’interroger, et que je constate tous les jours dans le plus concret de ma vie.
    Les chemins de Dieu sont complètement déroutants et son Esprit souffle où il veut.

  3. Comme Jacques Ellul, je me méfie de tout pouvoir. Nous devons toujours rechercher la non-puissance. Que des papes aient commis des horreurs, soit ! Mais ils n’en ont pas le monopole, le pouvoir corrompt (on peut ajouter corrompt tout homme). Ne faisons pas des catholiques ou des croyants en général, de faciles boucs émissaires (ha sans eux comme la vie serait douce et tranquille… mdr). Et puisqu’il s’agit de pouvoir, la meilleure chance que ayons qu’il nous corrompe le moins possible serait de le diluer : comme le propose les mouvements de démocratie directe par tirage au sort parmi l’ensemble de la population de nombreux contre-pouvoirs où les mandats sont non-renouvelables, révocables et avec reddition des comptes obligatoire… mais cela ne suffira pas, il nous faudra également décoloniser notre imaginaire occidental de consommateur car nous sommes toujours des croyants qui s’ignorent. Comme Durkheim, je suis convaincu qu’une société et ses institutions existent parce que nous y croyons (qu’on le veuille ou non, que l’on en ait conscience ou non). Prenons la monnaie en l’occurrence l’Euro, cessons d’y croire, de croire à sa valeur : il/elle disparait. Prenons la peur de manquer ou la rareté si vous préférez qui se trouve à la racine de l’idéologie consumériste, cessez d’y croire et le capitalisme disparaitra. Prenons la liberté, cessons de croire en notre soi-disant liberté, cessons d’y croire, le libéralisme disparaîtra. Pour paraphraser Sade, citoyens encore un effort pour briser la domination dans nos têtes ! 😉

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