L’équipe du Comptoir aime la politique, les débats d’idées, la littérature, la musique et… le cinéma ! Amateurs de salles obscures, la rédaction a sélectionné pour vous les films les plus mémorables de cette année 2016 : un polar ténébreux, un western enneigé, une éprouvante réunion de famille, un documentaire engagé, une fresque impériale, un drame social, des filles qui dealent, dansent et combattent, une poésie du quotidien, une éternelle guerre des étoiles… Bon visionnage.
- Les Huit Salopards, de Quentin Tarantino [1]
- The Assassin, de Hou Hsiao-hsien [2]
- The Strangers, de Na Hong-jin [3]
- Divines, de Houda Benyamina [4]
- Moi, Daniel Blake, de Ken Loach [5]
- Toni Erdmann, de Maren Ade [6]
- On revient de loin, de Pierre Carles et Nina Faure [7]
- Polina, danser sa vie, de Valérie Müller et Angelin Preljocaj [8]
- In the Last Days of the City, de Tamer El Said [9]
- Rogue One: A Star Wars Story, de Gareth Edwards [10]
- Paterson, de Jim Jarmusch [11]
- Juste la fin du monde, de Xavier Dolan [12]
« Le cinéma, c’est l’art de sculpter le temps. » Andreï Tarkovski
L’enfer, c’est les autres [1]
Que dire qui n’ait déjà été dit sur ce film-événement de début 2016 sans faire tomber le lecteur dans un ennui profond ? Pour commencer, nous pouvons reparler du relatif échec critique qu’a essuyé Les Huit Salopards en France : dans la presse, peu ont encensé le dernier long-métrage de Quentin Tarantino. Même son de cloche chez certains fans de longue date du réalisateur, lui reprochant des recettes éprouvées, un “film chiant”, ou encore un manque de fond flagrant. Nostalgie de la parenthèse Inglourious Basterds–Django, lors de laquelle Tarantino plantait ses personnages au cœur de contextes historiques cinématographiquement porteurs ? Retour aux sources jugé raté ? Ou simple lassitude ? Les Huit Salopards n’a en tout cas laissé personne indifférent, puisque de nombreux amateurs des salles obscures disent l’avoir adoré.
J’en fais partie, parce que – au-delà du fait que c’est l’un des seuls films qui m’a motivé à me rendre au cinéma cette année avec Merci Patron ! – j’ai justement été déçu du chemin plus “facile” qu’avait pris Tarantino ces dix dernières années. Ce western sous la neige en huis-clos, construit avec un certain génie, m’est apparu comme un équivalent de Pulp Fiction qui reste pour moi l’un des meilleurs films du réalisateur. On trouve tout dans ce dernier rejeton : des dialogues aussi intrépides que surréalistes, des personnages aussi truculents qu’antipathiques, une Amérique aussi mythique que vraie, et une histoire aussi complexe qu’apparemment simpliste. Les acteurs sont excellents (mention spéciale à Samuel L. Jackson et Jennifer Jason), l’ambiance sombre et puante comme un bon nanard des familles – avec des moyens conséquents – et la bande originale toujours aussi léchée, une constante dans le cinéma de Tarantino.
Pour toutes ces raisons, Les Huit Salopards signe dans mon esprit le retour fracassant de l’esprit tarantinesque des années 90, sans en faire plus, sans en faire moins.
Le poignard et la grâce [2]
Il est des films dont la sensualité picturale est si éclatante, la virtuosité scénique si déroutante, que l’œil peine à se réadapter à la triste réalité du monde. The Assassin fait indéniablement partie de ces œuvres qui marquent la rétine d’une beauté persistante longtemps après leur visionnage. « De quel sort avons-nous été victime ? » murmure-t-on en sortant de la salle.
Ensorcelé par une magie que l’on croyait oubliée, on peut néanmoins être décontenancé par une intrigue hautement complexe : sous la dynastie chinoise des Tang du IXe siècle, Nie Yinniang, experte en art martiaux, est chargée d’assassiner son cousin Tian Ji’an, gouverneur dissident de la province militaire de Weibo. Problème : Yinniang, malgré sa fidélité à l’ordre des assassins, demeure éprise de Tian Ji’an. C’est sur cette toile de fond politique que se tisse le dilemme moral de Yinniang, contrainte de choisir entre la voie de l’épée et celle du cœur.
S’inscrivant dans la noble lignée des wu xia pian (ces films de sabre chinois dont The Blade de Tsui Hark est le plus mémorable représentant), The Assassin a la particularité de reléguer, nonobstant leur maestria, les scènes de combat en arrière-plan de sa fresque historique. Le film se focalise davantage sur les délicates relations qui nouent le destin des personnages, s’attardant sur leurs paisibles activités quotidiennes et leurs manigances obscures, accordant enfin une place centrale aux sentiments contrariés de Yinniang qui l’amèneront à défier son maître et figure maternelle, précipitant son émancipation existentielle.
D’une élégance rare, la mise en scène de Hou Hsiao-hsien se fait contemplative, accordant une attention particulière aux détails les plus infimes de ce conte médiéval : le vent dans les arbres, le bruissement des vêtements, le ruissellement de l’eau, le piaillement des oiseaux, le souffle des lames qui s’affrontent. Un souffle calme et assuré qui parcourt de bout en bout ce récit épique, le transportant sur les rives mythiques d’une splendeur filmique que l’on croyait inaccessible.
Le rire du Malin [3]
Dans la petite ville de Gokseong d’étranges meurtres sont commis : les habitants semblent atteints d’une frénésie barbare qui les fait s’entretuer sans raison apparente. Jong-gu, officier un peu pataud, soupçonne un Japonais reclus dans la forêt d’avoir empoisonné la population au point de la rendre démente.
Fasciné par les jeux de pistes dans lesquels s’abîment les tourments humains, Na Hong-jin fait partie de cette nouvelle vague de réalisateurs (avec Kim Jee-woon, Bong Joon-ho et Park Chan-wook) qui redéfinit radicalement les contours du cinéma sud-coréen, en imposant une violence formelle que l’on croyait réservée aux productions japonaises de Takashi Miike, Shinya Tsukamoto ou Sono Sion. The Chaser, son premier long-métrage, figurait déjà une course contre la mort face à un tueur en série dans un Séoul interlope et poisseux. The Murderer, son film suivant, collait aux basques d’un travailleur pauvre pris en chasse par la mafia locale et les autorités chinoises.
The Strangers est quant à lui tout simplement magistral dans sa manière de nouer les genres (le burlesque et l’épouvante, le polar et le fantastique) : le ton oscille constamment entre la comédie bouffonne et l’horreur pure, perturbant autant les repères des spectateurs que ceux des personnages. D’où la confusion mentale de l’antihéros qui de simple flic menant sa petite enquête voit toutes ses certitudes, et notamment son rôle de père, voler en éclat sous l’effet de la confrontation au Mal. Contamination, possession, destruction : la vision apocalyptique de Na Hong-jin se décline au pluriel, accentuant l’effroi visuel d’un labyrinthe de ténèbres qui ne semble épargner personne.
S.M.
La rue est une bâtarde [4]
Les films sur les banlieues populaires sont souvent délicats à réaliser, surtout quand les personnages principaux sont des jeunes filles. On se souvient par exemple du raté Bande de filles de Céline Sciamma, essentiellement tourné à Bagnolet (93) et sorti en 2014. Il y a donc forcément un peu d’appréhension en allant voir Divines, néanmoins couronné d’une Caméra d’or au Festival de Cannes 2016.
Le film nous narre l’histoire de deux copines de seize ans. Abandonnant son lycée professionnel pour se faire du cash, Dounia, épaulée par sa meilleure amie Maimouna, propose ses services à Rebecca, une dealeuse de son quartier. De fil en aiguille, malgré les difficultés, elle parvient à gagner le respect de son nouveau mentor. Dans le même temps, elle rencontre Djigui, danseur dont elle tombe progressivement amoureuse. Dounia va finalement devoir choisir entre l’appât du gain et ses sentiments… Mais comme le rappait Booba il y a une quinzaine d’années, « la rue t’élève et te tue ». Et elle va devoir apprendre cette terrible réalité.
Le premier long métrage de Houda Benyamina est une vraie réussite. La réalisatrice a choisi de tourner son film dans le quartier de la Noue à Montreuil (93). Selon elle, cette cité « avec ses murs très abîmés, laissés à l’abandon, comme un vieux pain rongé, […] disait beaucoup de choses sur l’état de notre société ». Car c’est presque une fresque sociale que nous décrit Benyamina à travers ses deux héroïnes.
Kevin “L’Impertinent” Victoire
Voyage au bout du Welfare [5]
Si un cinglant démenti devait être apporté à l’idée que l’herbe est toujours plus verte chez le voisin, Moi, Daniel Blake, en serait probablement l’illustration parfaite. Véritable plongée au cœur des méandres du National Health Service britannique (qui fut pourtant un modèle de l’après-guerre), le dernier film de Ken Loach – qui lui a valu sa deuxième palme d’Or au Festival de Cannes – détonne autant par son réalisme crû que par l’amour immodéré qu’il porte à ses personnages.
Menuisier veuf atteint d’une maladie cardiaque, Daniel Blake est toutefois déclaré apte au travail – contre l’avis de ses médecins – par une employée de l’administration sociale britannique. S’ensuit un chemin de croix ubuesque où faute de pouvoir toucher les allocations de santé, le héros devra demander à être indemnisé au chômage, à la condition de prouver qu’il cherche activement du travail, pour lequel il est inapte.
Malgré la dureté du sujet, Ken Loach reste conforme à ses habitudes et rejette toute solution de facilité, le misérabilisme comme la haine primaire de l’administration. Dans un monde où l’absurdité bureaucratique du système social comprime les individus, fonctionnaires comme “usagers”, et où l’État lui-même ne surnage plus que dans une stratosphère d’où il délègue ses missions à des opérateurs privés, Loach choisit de filmer coup sur coup les derniers refuges d’humanité qui subsistent.
Parmi ces refuges, on retrouve celui des valeurs de l’entraide, que ce soit celle de la famille ou du quartier, mais aussi la force de la transmission et l’amour pour cette conception proprement sensorielle du travail qu’est l’artisanat. Un sujet dont l’actualité donne à réfléchir à tous et particulièrement à ceux qui, engagés dans l’action publique, refusent la capitulation face au diktat du new public management.
Tel père telle fille [6]
Toni Erdmann a été très largement applaudi par la presse, et à juste titre : le film qui suit la relation fragile d’un père et sa fille, oscille brillamment entre drame et comédie.
Alors que le père ne pense qu’à consacrer du temps à ses loisirs et revêtir une perruque grotesque et un dentier ridicule – qui rappellent au passage l’humour loufoque de François L’Embrouille – pour faire des blagues un brin douteuses, la fille met le temps à profit pour ses affaires. Véritable sacerdoce, sa vie professionnelle domine tout. Mais lorsque son père débarque à l’improviste afin de comprendre la vie qu’elle s’est choisie, la fille froide et antipathique laisse progressivement deviner une autre image. Elle n’exercerait sans doute aucun charme si, en filigrane de ses attitudes et de sa froideur, on ne percevait pas une blessure plus profonde faite de regrets, de déceptions, et d’échecs. Sous le masque de la femme d’affaires cérébrale, on devine la décalée. Décalée un peu comme son père dans cette scène hilarante où elle se dépouille de tout vêtement, et où le père porte un déguisement bulgare des plus velus.
On sort de ce film en se promettant de garder, à la manière de Toni Erdmann, une bonne dose de légèreté, mais aussi avec toutes ces questions existentielles en tête, révélées par le film : quelle existence choisit-on ? Quel est l’idéal que l’on se fait d’une vie accomplie ? Nietzsche dans Le Gai savoir écrivait qu’il nous fallait « déceler le héros et non moins le bouffon […], de jouir de temps en temps de notre folie pour continuer à jouir de notre sagesse ».
La révolution citoyenne d’Équateur, un exemple à suivre ? [7]
Le documentaire Opération Correa parlait de l’absence d’intérêt des médias français pour le passage en France de Rafael Correa, le président de l’Équateur. Avec On revient de loin, Pierre Carles et Nina Faure s’attachent cette fois-ci à vérifier leur a priori positif sur place, en sillonnant l’Équateur.
Force est de constater qu’il y a du positif : le pays a été modernisé par de grands travaux d’infrastructure, les soins pour la population sont devenus gratuits, une sécurité sociale pour les femmes travaillant au foyer a été mise en place, un plan de modernisation énergétique a été lancé et, pour le permettre, le remboursement de la dette a été réduit à sa part considérée comme légitime. D’un point de vue démocratique, l’opposition s’exprime librement dans la rue comme dans les médias privés et Rafael Correa quittera bien son poste après son troisième mandat.
Cependant, les mesures sociales menées par le président tiennent du catholicisme social, non du socialisme. L’entreprise privée continue à régner en maître. Le développement du pays reste basé sur les matières premières. Les mesures sociales sont vues favorablement, défavorablement quand elles nécessitent un impôt sur la succession même équitable, et manquent de publicité à la campagne. Les droits des femmes comme l’IVG ne progressent pas et les revendications des indigènes à garder leur mode de vie ne sont pas prises en compte.
Loin d’une hagiographie, On revient de loin présente d’une manière équilibrée, rythmée et non dénuée d’humour une alternative politique crédible dont le documentaire mesure les écueils avec discernement.
Boris Lasne
L’essence de la vie [8]
Une banlieue pauvre de Moscou, dans la Russie des années 90. Le train passe entre les centrales électriques sous un ciel de plomb, couleur de la fumée qui s’échappe de grosses cheminées. Au milieu de ce décor : Polina, jeune danseuse, fille d’un couple de prolétaires – une mère originaire de Sibérie et un père géorgien, forcé de trafiquer avec la mafia pour s’en sortir et payer les cours de sa fille. Polina doit se battre pour rattraper son retard sur les autres et aider sa mère à travailler alors qu’elle devrait danser, encore et toujours. On sent peser sur ses frêles épaules le poids de la fierté familiale, paternelle. Et pourtant, portée par l’exigeant et difficile Professeur Bojinski, elle est admise dans la prestigieuse école du Bolchoï. Mais la ballerine se fait sauvage. Ce qu’elle souhaite, c’est danser autrement. Vivre en dansant et danser ce qu’elle vit.
L’histoire de Polina, c’est celle d’une jeune russe qui s’extrait de son milieu sans pour autant accepter l’obligation d’intégrer les élites par la “voie royale”. C’est l’histoire de cette jeune fille qui ère finalement à travers l’Europe sans argent, seule, avec pour unique compagnie son ardent désir de danser la vie. Sa vie. Et qui finira, en passant par Anvers, en devenant serveuse et en découvrant le monde de la nuit, par sortir du carcan des étoiles russes et s’épanouir dans une scène finale où elle explose, étincelle, brûle de mille feux, dévoilant dans toute sa splendeur et sa brutalité ce qu’est la danse : la vie dans son essence même. Les amateurs comme les non-initiés ne sortent pas indemnes de cette adaptation fulgurante de la BD de Bastien Vivès.
Mort sur le Nil [9]
Le Caire, 2009, deux ans avant la Révolution. Tamer El Said, issu de la nouvelle génération des cinéastes arabes, choisit de rendre hommage à la ville qui lui a tant donné alors qu’elle tombe, rongée par les troubles politiques. Son personnage, Khalid, 35 ans, lutte pour finir un film documentaire alors que sa mère est à l’hôpital et que la femme qu’il aime, Laila, s’apprête à quitter l’Égypte. Les militants étudiants sont tabassés par la police corrompue de Moubarak, les islamistes paradent, les vitrines de confection féminine se remplissent de jiljabs (hijabs couvrant tout le corps) et la violence contre les femmes se banalise.
Khalid nous fait partager sa fascination pour les rues jaunes et les immeubles décrépis du Vieux Caire, le soleil délavé sur un Nil mort, les quartiers à l’architecture coloniale. La place Talaat Harb réapparaît plusieurs fois et rappelle qu’un espoir de démocratie a existé en Égypte. Les premières manifestations du mouvement Kifaya, qui regroupait les diverses tendances laïques et nassériennes, eurent lieu dans ce carrefour. Opposés au régime de Moubarak et à son pro-américanisme tout autant qu’à l’Islam politique des Frères musulmans, ces manifestants, artistes, étudiants, ouvriers, anciens activistes des années 1970, croyants et politiciens modérés et progressistes, ont été mis au ban d’une société pour laquelle ils se sont pourtant battus.
Docu-fiction, film-somme, In the Last Days of the City a la grâce des œuvres cataclysmiques, et cette force du cinéma qui, sans relâche, rappelle l’universel en nous.
Les héros oubliés de l’histoire [10]
L’hiver dernier, Le Réveil de la force, nouveau volet très attendu de la saga Star Wars, décevait. En reprenant, et les personnages et les décors du Nouvel espoir (l’épisode IV), le dernier opus donnait une impression de déjà-vu. Alors, lorsque Rogue One est sorti, je ne m’attendais vraiment pas à grand-chose. Mais, contraint d’aller le voir pour faire plaisir à mes gosses, j’ai enfilé mes lunettes 3D persuadé que, de toute façon, je verrais du spectacle. Grande surprise, j’ai été littéralement fasciné par cet épisode qui sera peut-être, à mes yeux, le meilleur de tous. Pourquoi ?
Rogue One, c’est l’histoire des héros oubliés de l’histoire. De ceux qui ne tireront aucune gloire de leur bravoure, de ceux qui ont le sens du devoir, du sacrifice mais également de ceux qui doivent se racheter de saloperies commises au nom du Bien. En effet, l’épisode dépasse le traditionnel clivage entre le camp des gentils et le camp des méchants. Il nous fait entrer au cœur de l’Alliance rebelle et sort de l’habituelle vision angélique propre à la saga. Enfin, Gareth Edwards, le réalisateur, nous fait découvrir de nouveaux décors et nous propose un casting brillant : Forest Whitaker (Ghost Dog), Mads Mikkelsen (la série Hannibal), Donnie Yen (Ip Man), Felicity Jones (Inferno) ou encore la révélation Riz Ahmed (la série The Night Of) incarnent des personnages captivants et donnent un véritable vent d’air frais qui renouvelle à la saga.
La légèreté du quotidien [11]
On a souvent dit de l’art qu’il avait pour mission de produire du sublime. Plus dur encore est cependant la sublimation de ce qu’il y a de plus routinier, mécanique voire aliénant, à savoir le quotidien. Paterson de Jim Jarmusch arrive à faire cela, à ré-enchanter la routine, à donner ses lettres de noblesse aux habitudes, sans pathos exagéré, sans excentricité outrancière, avec une simplicité des plus touchantes qui ne se refuse pas quelques fantaisies.
C’est l’histoire de Paterson, conducteur de bus dans la ville américaine de Paterson, amateur de poésie et notamment du livre Paterson écrit par William Carlos Williams, lui-même né dans la ville éponyme (comme de nombreux poètes, à commencer par Allen Ginsberg). Une sorte de sage populaire, qui apprécie la douce quiétude des journées rythmées par les mêmes actions, et qui les élève au rang d’art par l’écriture régulière de poèmes. Poèmes à propos de tout et de rien – du tout et du rien –, dont de nombreux consacrés à la femme qu’il aime. Rien de très émoustillant, on est loin d’une vie palpitante d’aventurier, et pourtant on ne peut s’empêcher d’envier ce grand dadais qui vit paisiblement une vie relativement tranquille, où seuls quelques accidents (un bus en panne, un homme au cœur brisé menaçant de se suicider, etc.) semblent faire fausse note dans cette harmonie. Cet homme a l’amour – une femme pétillante et un peu loufoque qu’il aime et qui l’aime –, l’amitié – un bar sympathique, sans TV, où l’on joue aux échecs et où le patron, son ami, diffuse de l’excellente black music – et l’art – la poésie, qui demeure le seul fil conducteur du récit. Que demander de plus ?
Un film tendre, drôle, qui nous rappelle le cinéma japonais du quotidien – des films de Yasujiro Ozu à certains de Takeshi Kitano (A scene at the sea par exemple) – et dont les héros sont des hommes de tous les jours, avec leurs faiblesses, leur médiocrité, mais aussi cette beauté des gens simples qui cultivent quelques passions et acceptent avec bonhommie le long fleuve du destin.
L’Apocalypse selon Saint Xavier [12]
Xavier Dolan est un jeune cinéaste qui ne laisse pas indifférent. Il agace surtout beaucoup. Les critiques (et pas seulement) ne manquent pas une occasion de montrer du doigt son nombrilisme. Son cinéma est un cinéma du soi et il n’essaye pas de s’en cacher. Mais il nous faut bien avouer que le narcissisme de Dolan est mis au service d’un esthétisme bien maîtrisé : une sorte d’obsession de soi mise en valeur par la beauté autour.
Ce film ne déroge pas à la règle. Fidèle à la pièce de Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde est une histoire d’attente, de frustration, d’amour et de densité. Cette densité, qui saisit le spectateur dès les premières minutes, est celle de la mort promise. La mort est ce personnage caché qui hante merveilleusement le film, qui pèse de tout son poids, un peu comme si Joe Black était désincarné dans le film de Martin Brest (Meet Joe Black).
Louis, le protagoniste, est déjà une sorte de fantôme errant. Rempli de l’annonce de sa mort prochaine, il se donne (à défaut de se livrer) à une belle-sœur effacée, une sœur vulnérable, une mère pétulante et un frère coléreux. Comme dans tous les films de Dolan, le territoire est absent (c’est n’importe où), malgré des paysages omniprésents. Ou disons qu’avec l’effort d’imagination adéquat, un territoire se profile : la périphérie. C’est là que se déroule ce film : en périphérie de la ville et en périphérie de la vie. Une périphérie qui aiguise les sens du héros : il goûte chaque geste inconsciemment offert par les siens. En cela, le cinéaste québécois a incontestablement réussi.
Nos Desserts :
- Cette année au Comptoir, nous avons fait la recension du film de François Ruffin Merci Patron ! ainsi que du film de Nicole Garcia Mal de pierres
- Nous avons également interviewé la critique Murielle Joudet sur la rétrospective « Hollywood décadent » à La Cinémathèque
- Nous avons donné la parole au réalisateur Pier Paolo Pasolini
- Notre sélection ciné de 2015
Catégories :Shots et pop-corns
Ceux qui écartent Tarantino des films d’importance de l’année n’ont peut-être pas compris qu’il ne s’agissait pas là que d’un film violent ou bavard, mais d’un film sur la convoitise, la suspicion, la vengeance qu’avait ravivé la bataille d’Appomattox durant la guerre civile américaine, et par conséquent un film qui donne des éléments de réflexion quant à la place aujourd’hui encore tenue par le Noir dans la société américaine et sur les oppositions longtemps suscitées, bref Tarantino comme ces deux précédents films (et en cela assez différent tout de même dans le fond à Pulp fiction) fait un film politique.
Commentaire repris et corrigé !
C’est bien que tu ais placé Dolan aussi dans cette liste. C’est sûr le sujet n’est pas des plus réjouissants, le film n’est pas là pour nous laisser respirer, mais pour l’avoir revu ces jours-ci, je trouve qu’il est très rigoureux et, pour ne parler que de cela, offre la possibilité aux acteurs de jouer superbement, peut-être Cassel et Cotillard au-dessus des autres d’ailleurs. Et pourtant, ce n’est pas le jeu des acteurs qui habituellement me touche et mes compliments envers Cotillard ne sont vraiment pas pour tous ses films.
Le meilleur tarentino sûrement réservoir dogs.
Avec les 8salopards il revient à un huis clos déjà présent dans réservoir dogs.
Petite remarque sur la critique de S. M. concernant Assassin. Je ne suis pas certain qu’on puisse ranger ce film dans le wu xia pian. Pour être plus précis, la tradition du wu xia pian est avant tout littéraire et antérieure au cinéma. C’est le genre littéraire s’articulant autour de héros solitaires, sorte de version chinoise du ronin japonais, avec moins de Zen et plus d’héroïnes. Mais l’essor du cinéma de Hong-Kong dans les années 60, financé par la Shaw Brothers, a remis ce genre à la mode, en s’inspirant de la tradition Chambara japonaise (Kurosawa par exemple), mais en la « colorant » un peu, en la choregraphiant sur le modèle des ballets de l’Opera de Pékin. Donc selon moi, Assassin se rapproche plus d’un film de Chambara que de wu xia pian dans la forme (l’épure). Et sur le fond, il ne s’agit pas réellement d’un chevalier errant, ni sur le plan des valeurs, ni sur le plan narratif… Voilà 😉
Sinon j’ai adoré ce film, quoique je lui trouve des défauts dans la structure narrative rendant l’ensemble inutilement décousu. Je le classerai derrière Three Times et Les Fleurs de Shanghai, mais peut être devant Millenium Mambo!
dans la presse
Je suis intéressé par une comparaison de films L’Apocalypse selon Saint Xavier et cette https://voirfilms.zone/7661-transformers-bumblebee-spin-off-2018.html création