Paradoxalement, depuis ses succès de 2012 à la présidentielle et aux législatives qui ont suivi, la gauche va très mal. D’élection en élection, son électorat semble s’amenuiser, au point que Manuel Valls a déclaré en juin 2014 : « Oui, la gauche peut mourir. » Pour sortir de l’impasse, les initiatives se multiplient. L’appel incantatoire à la République séduit de plus en plus la gauche, surtout depuis les attentats djihadistes de janvier 2015. Biberonné au marxisme et à l’anarcho-syndicalisme, je suis immunisé contre le fétichisme d’une République qui a bien souvent trahi ses promesses[i].
Républicain, je peux l’être, mais pas avec n’importe qui ni dans n’importe quelles conditions. Disons qu’à l’alliance des « républicains des deux rives » que Jean-Pierre Chevènement appelle de ses vœux, j’ai toujours préféré celle des “gens ordinaires” – par-delà leurs origines, religions ou convictions politiques – contre les élites. Et force est de reconnaître que votre Printemps républicain ne m’a pas convaincu. Loin d’être sectaire – après tout, j’ai interviewé cinq de vos premiers signataires[ii] –, je préfère le dialogue et le débat à la diabolisation ou à l’« intimidation » dénoncée par Élisabeth Badinter dans Marianne. Mais, et c’est là notre grande différence, à votre républicanisme mou, voire bourgeois, je préfère la République sociale, à la fois radicale et porteuse d’infiniment plus d’espoir pour les classes populaires de ce pays.
« Républicain, oui ; mais ce mot ne précise rien », Pierre-Joseph Proudhon
Vous avez dit “républicain” ?
La grande majorité des partis politiques se battent aujourd’hui pour le monopole du républicanisme. Le Printemps républicain n’échappe bien évidemment pas à la règle. Mais que recouvre cette res publica, cette chose publique ? Héritier de la Grèce et de la Rome antique, le républicanisme, dont les pères modernes sont Machiavel et Jean-Jacques Rousseau, s’oppose au libéralisme en ce qu’il place la société avant l’individu. Il vise également la participation de tous les citoyens au bien commun. Dans Impasse Adam Smith, Jean-Claude Michéa note que cet objectif « implique un effort d’arrachement de soi-même, qui ne peut être qu’héroïque et dont seule l’Antiquité gréco-romaine semble offrir des exemples plausibles. » L’idéal de défense collective du bien commun semble en effet peu adapté à notre modernité, dans laquelle il s’inscrit, qui présuppose des individus radicalement indépendants les uns des autres et égocentrés. Le philosophe note donc que la stricte application de la philosophie républicaine mène généralement, en pratique, à la « dictature de la vertu ». La Terreur – qui était pour les jacobins le corolaire de la vertu républicaine – et ses 100 000 morts entre 1792 et 1794 semblent lui donner raison.
Cette difficulté explique que l’idéal républicain a finalement accouché de nombreuses conceptions, qui n’ont que peu en commun entre elles. En 1840, dans un de ses ouvrages majeurs, Qu’est-ce que la propriété ?, Pierre-Joseph Proudhon relevait avec ironie : « Républicain, oui ; mais ce mot ne précise rien. Res publica, c’est la chose publique ; or quiconque veut la chose publique, sous quelque forme de gouvernement que ce soit, peut se dire républicain. » Une situation qui s’est même aggravée depuis l’époque de l’anarchiste, puisque la défense de la “chose publique” est devenue, au moins officiellement, le plus petit dénominateur commun de l’écrasante majorité des mouvements politiques. Du Front de gauche au Front national, en passant par le Parti socialiste et l’UMP – rebaptisée depuis l’an dernier “Les Républicains” –, la mode est de se réclamer de la République, au point qu’on ne sait plus réellement ce que ce mot désigne[iii].
On peut cependant relever deux grandes tendances qui se sont dessinées au cours du temps. Pour les comprendre, il faut remonter à l’année 1848. La Révolution de février a pour conséquence l’abdication de Louis-Philippe Ier, “roi des Français”, et la proclamation de la IIe République. La “République modérée”, majoritaire, d’Alphonse de Lamartine cohabite avec la “République démocratique et sociale” de Pierre Leroux et Pierre-Joseph Proudhon. Le premier camp défend le libéralisme économique et un gouvernement représentatif, qui repose sur la séparation entre société civile et État. Pour le second, la République doit rimer avec égalité économique et s’appuyer sur un système de représentation “inclusif”, c’est-à-dire où les représentants parlementaires sont contrôlés par les citoyens qui prennent activement part à la chose publique[iv]. Pour eux, le socialisme est le seul moyen de réaliser les promesses de la République : la liberté, l’égalité et la fraternité[v].
En juin, la conception bourgeoise l’emporte sur la vision populaire. Du 22 au 26 juin, la République française gouvernée par Eugène Cavaignac assassine 5 000 manifestants et en emprisonne 25 000. Mais le mythe de la République sociale ne s’éteint pas pour autant : il accompagne le mouvement ouvrier durant de nombreuses décennies et l’insurrection de la Commune de Paris de 1871 s’en inspire largement.
« Notre République n’a rien de commun avec la vôtre. » Gustave Lefrançais, président de la Commune de Paris de 1871
Notre République sociale contre votre République incantatoire
J’ai beau chercher, je ne trouve pas un mot sur la question sociale dans votre manifeste. Certains, comme Bastien Faudot ou Denis Collin, m’objecteront probablement qu’il ne s’agit que d’un premier pas vers la République sociale et que la question sera traitée dans un deuxième temps. Le doute reste pourtant de mise, au vu de la majorité des initiateurs et signataires, qui ne se sont jusqu’ici pas illustrés par leur antilibéralisme, au contraire. Je ne suis d’ailleurs ni le seul ni le premier à le remarquer. Dans le dossier du dernier Causeur (mensuel n°33, mars 2016) consacré à votre « néogauche » républicaine, Gérald Andrieu regrette « que cette gauche laïque ne mène des combats communs que sur les questions de société (…), évacuant largement la question économique. Cet impensé s’explique par le fait que, précisément, tous les représentants de cette “néogauche” ne s’accordent pas sur le sujet. »
Vous expliquez dans votre texte : « Pour nous, la République, c’est ce qui nous est commun. C’est à la fois notre bien commun, notre territoire commun et notre projet commun. » Mais comment comptez-vous recréer du commun ? Il ne suffit pas d’invoquer le “commun” devant sa glace pour qu’il apparaisse comme Beetlejuice. Il ne peut y avoir de « projet commun » dans une société rongée par l’individualisme et le communautarisme – qui ont en réalité la même racine et se nourrissent l’un l’autre. Il me semble évident que l’individualisme ne pourra pas être éradiqué sans combattre la logique libérale, « qui conduit à transformer la société en agrégation d’individus sans lien, sans relation et n’ayant pour mobile de leur action que l’impulsion de l’égoïsme » (Saint-Simon).
Force est de reconnaître que, dans vos priorités, le communautarisme l’emporte sur le règne moderne de l’individualisme. Celui-ci apparaît lorsqu’il n’existe plus d’“affect commun” à toute la société. Quand certaines communautés – groupes d’individus partageant un trait culturel ou religieux – ne font plus société avec le reste de la nation. Pour lutter contre ce phénomène, il ne suffit pas de proclamer un retour de la République, mais il faut comprendre pourquoi le commun s’est effacé. Et la meilleure façon de lutter contre cet isolement est encore de comprendre ses origines.
Il y a trente ans, Guy Debord, visionnaire comme souvent, écrivait : « Le risque d’apartheid ? Il est bien réel. II est plus qu’un risque, il est une fatalité déjà là (avec sa logique des ghettos, des affrontements raciaux, et un jour des bains de sang). Une société qui se décompose entièrement est évidemment moins apte à accueillir sans trop de heurts une grande quantité d’immigrés que pouvait l’être une société cohérente et relativement heureuse. » Le situationniste constatait que la société de consommation et la culture de masse allaient peu à peu transformer la France en un segment du Marché mondial. Les Français n’ont alors plus en commun que leur soif démesurée de gadgets à la mode. Dans le même temps, l’école a été détournée de son rôle social et n’a plus qu’une vocation utilitariste. Alors que jusqu’ici elle avait pour mission de former des citoyens prêts à prendre leur place dans la Cité, elle crée désormais uniquement des travailleurs adaptables aux réalités du marché – la disparition progressive et organisée des langues mortes, supposées inutiles par essence, nous le prouve. La croissance et le plein-emploi réussissaient à compenser la montée de l’individualisme : à défaut de s’intégrer à une communauté nationale, les individus s’inséraient dans une économie nationale. Mais, depuis les années 1970, le capitalisme est en état de crise structurelle et n’est plus capable d’inclure économiquement et socialement la majorité des travailleurs, laissant une part toujours plus croissante sur le carreau. C’est ce que Michel Clouscard nommait astucieusement « le surplus de classe ».
Deux logiques sont en ordre de marche : l’accueil d’immigrés en grand nombre et la disparition progressive des spécificités nationales, noyées dans la mondialisation. Les immigrés déracinés entrent alors dans une nation n’ayant rien d’autre à leur offrir que la possibilité de s’acheter des iPhone et de zapper devant des émissions débiles à la télévision. Or, comme l’avait bien vu le sociologue et historien américain Christopher Lasch, « le déracinement déracine tout, sauf le besoin de racine » (Culture de masse ou culture populaire ?, Climats, 2001). C’est à ça que répond le communautarisme : au besoin de commun dans une société incapable d’en fournir. Pour ne rien arranger, les immigrés sont parqués dans des cités-dortoirs – qui ne répondent qu’à une logique utilitariste, mais empêchent toute vie commune décente –, à l’écart du reste de la société. Les discriminations et autres délits de faciès amplifient le problème. Comment trouver sa place dans une société qui abandonne sa culture, incapable de fournir une instruction digne de ce nom et d’insérer ses membres dans sa vie économique et sociale ?
Vous faites également l’impasse sur un problème important, celui de la souveraineté. Car la République, c’est aussi et surtout la souveraineté populaire. Celle-ci exige comme le dit Rousseau dans Du Contrat social (1762) que « nul citoyen ne soit assez opulent pour en pouvoir acheter un autre, et nul assez pauvre pour être contraint de se vendre. » L’égalité politique est-elle réellement possible entre Bernard Arnault et un smicard ? Pour rappel, la fortune du premier (34 milliards d’euros selon Challenges) représente 23 millions d’années de travail du second, selon les calculs de Paul Piccarreta, directeur de la revue Limite. Pourtant nulle mention dans votre manifeste des inégalités de revenus qui progressent, ni de la précarisation des Français, alors qu’il semble évident que l’insécurité sociale ne favorise pas la participation citoyenne à la vie de la cité. Le quotidien d’une majorité de Français, ce sont des fins de mois difficiles à boucler, une pénible insertion dans le marché du travail et une stabilité sociale de moins en moins assurée – et le projet de loi El Khomri, dont vous ne pipez mot, risque d’aggraver énormément ce dernier problème.
De même, pas une seule phrase sur l’Union européenne, à qui nos élites ont remis notre souveraineté. Vous ne pouvez pourtant plus faire comme si vous ne le saviez pas. Pas plus tard que l’an dernier, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a craché le morceau en déclarant après l’élection d’Alexis Tsipras en Grèce qu’« il ne peut y avoir de choix démocratiques contre les traités européens ». Encore dans le dernier Causeur, Natacha Polony interroge : « Comment peut-on défendre la souveraineté de notre pays si on la brade sur le plan économique ? » Mais avec un délégué interministériel et une récente ex-ministre dans vos rangs, il ne fallait pas trop se faire d’illusions sur cette question.
« Sans le socialisme, la République est vide. » Jean Jaurès
Pour un printemps populaire
Votre manifeste est consensuel et vide. C’est inéluctable quand on cherche à ménager la chèvre et le chou, à plaire à Élisabeth Badinter et à Denis Collin, à attirer la libérale et le communiste. Mais en évacuant le social, on se perd dans le sociétal. En cela vous ne déviez pas de la tendance de ces trois dernières décennies. En 1983, le PS ouvre la “parenthèse libérale” et abandonne définitivement les ouvriers. Il décide donc d’instrumentaliser la lutte antiraciste et l’antifascisme – incarnés par la lutte théâtralisée contre le FN – pour masquer sa démission de la question sociale. La stratégie Terra Nova – constitution d’un bloc électoral pour 2012 composé des “minorités” et des jeunes diplômés et abandon définitif des ouvriers plus enclin à voter FN – souvent dénoncée par Laurent Bouvet, en est l’accomplissement. Mais vous restez malheureusement dans la même logique.
Votre manière d’en appeler frénétiquement à la laïcité est d’ailleurs très symptomatique. Au risque de choquer, je pense que la laïcité n’est pas menacée en France et les lois actuelles me semblent suffisantes : il n’y a donc qu’à les appliquer. Je connais les fameux “territoires perdus de la République” – qui sont en réalité des territoires abandonnés –, puisque j’y vis depuis maintenant vingt-sept ans. Mais, hormis pour quelques extrémistes, certes toujours plus nombreux, personne ne songe à rétablir de pouvoir religieux en France. L’islam d’aujourd’hui n’est en aucun cas comparable à l’Église catholique en 1905. La question est mal posée, ce qui signifie que la réponse apportée sera mauvaise. Il s’agit en réalité de combattre le communautarisme déjà évoqué plus haut.
Pour vous, la laïcité est plus qu’« un principe de séparation de la société civile et religieuse », comme la définit Régis Debray. Elle est presque une spiritualité politique. Vous écrivez ainsi : « La laïcité ne se résume pas à la neutralité de l’État, elle est une activité vivante et permanente, à travers l’attention et l’action des laïques dans la société. » Entendez-vous par-là défendre un laïcisme proche de la religion civile défendue par Rousseau, à laquelle chaque citoyen doit se conformer sous peine d’être « banni de l’État », voire « puni de mort » (Lettre à Voltaire, 1756) ? Cela expliquerait une certaine intolérance vis-à-vis des conceptions contraires de la laïcité, qui s’est pleinement exprimée durant la chasse aux sorcières à l’encontre du président de l’Observatoire de la laïcité Jean-Louis Bianco. Ou confondez-vous sécularisation – qui correspond à une sortie de la religion elle-même – et laïcité et espérez un cantonnement du religieux à la sphère strictement privée ? Là encore, Debray a raison d’affirmer que « la laïcité n’est pas une machine de guerre contre les religions ». Dans tous les cas, nous sommes loin de la définition de la laïcité que donnait son principal théoricien, Ferdinand Buisson, qui écrivait en 1888 qu’elle correspondait à « l’État neutre entre tous les cultes, indépendant de tous les clergés, dégagé de toute conception théologique, (…) la délimitation profonde entre le temporel et le spirituel ».
Pour ma part, je préfère sortir des clivages sociétaux pour réactiver les vrais problèmes sociaux. Je ne fais pas pour autant de l’économisme, c’est-à-dire que je ne considère pas tous les faits sociaux comme étant des faits économiques. J’ai également conscience du fait que la lutte de classes ne peut pas régler seule tous les problèmes. Mais je crois que la convergence des luttes sociales est la meilleure manière de recréer du commun. Car les ouvriers blancs du péri-urbain et les nouveaux prolétaires issus de l’immigration des banlieues ont les mêmes intérêts de classe et les mêmes ennemis. Comme Michéa dans Les Mystères de la gauche (Climats, 2013), j’estime qu’un projet de gauche réellement novateur devrait ambitionner de trouver « un nouveau langage commun susceptible d’être compris – et accepté – aussi bien par des travailleurs salariés que par des travailleurs indépendants, par des salariés de la fonction publique que par des salariés du secteur privé, et par des travailleurs indigènes que par des travailleurs immigrés. »
Je doute cependant que votre mouvement puisse un jour être populaire. Au final, le Printemps républicain n’est qu’une résurrection de la Gauche populaire, dont Bouvet était déjà un des principaux inspirateurs. Malgré des constats justes, le courant proche du PS n’a jamais trouvé le peuple qu’il invoquait et est mort en février 2013, après avoir été récupéré par un réseau d’élus PS. Le Printemps républicain connaîtra sûrement le même destin. Peut-être que cette fois-ci, le mouvement sera même repris au plus haut sommet de l’État. Car, Valls, proclamé héraut de « la gauche Finkielkraut » (sic) par Le Point, est le nouveau champion toutes catégories des invocations vides à la République et à la laïcité. Votre Printemps républicain est condamné à être un printemps sans bourgeon et un été sans fruit.
Nos Desserts :
- Page Facebook et compte Twitter du Printemps républicain
- Laurent Être explique à Laurent Bouvet pourquoi le socialisme est la meilleure réponse à apporter à l’insécurité culturelle
- (Re)lire les Notes sur la « question des immigrés » de Guy Debord
- L’appel à une République sociale de Frédéric Lordon dans le dernier Monde diplomatique
- « 1848, le printemps des peuples » d’Alain Garrigou dans Le Monde diplomatique
- « Qu’est-ce que la République ? » à propos de l’ouvrage de Samuel Hayat dans La Vie des Idées
- Galaad Wilgos contre le Printemps républicain
Notes :
[i] Pensons simplement aux massacres de juin 1848 et de mai 1871 ou encore aux fortes répressions subies par les anarcho-syndicalistes des années 1880 et par les zadistes aujourd’hui, au nom de la République. De manière plus générale, “liberté, égalité, fraternité” ne sont aujourd’hui que des mots vides de sens pour une majorité de Français.
[ii] Il s’agit de :
- Laurent Bouvet : « Recréer du commun, c’est se remettre à faire de la politique »
- Frédéric Farah (avec Thomas Porcher) : « Le libre-échange a une patrie : l’Europe » (j’ai également interviewé ce binôme pour l’Humanité)
- Marcel Gauchet (entretien réalisé avec l’aide de mon compère Galaad Wilgos) : « Le non-conformisme est globalement passé du côté conservateur »
- Denis Collin (entretien également réalisé avec Galaad Wilgos) : « La forme achevée de la république est la république sociale »
- Nadia Remadna (avec la Brigade des mères) : « Les immigrés sont maintenus dans leur culture »
[iii] Selon Charles Péguy, « Quand un mot commence à devenir à la mode, c’est que la réalité qu’il désigne est bien malade. » Tout semble dit…
[iv] Pour aller plus loin, on peut se reporter à l’excellent ouvrage de Samuel Hayat, 1848, Quand la République était révolutionnaire. Citoyenneté et représentation, Seuil, 2014.
[v] « Nous sommes socialistes si l’on veut entendre par socialisme la doctrine qui ne sacrifiera aucun des termes de la formule liberté, fraternité, égalité, unité, mais qui les conciliera tous », expliquait l’inventeur du mot “socialisme”, Pierre Leroux, en 1845.
Catégories :Politique
Cher Kevin,
je n’appartiens pas aux fondateurs-organisateurs du Printemps républicain et ma voix n’engage que moi. Signataire du manifeste (comme beaucoup de gens très différents), j’étais présent au lancement de ce mouvement, hier. J’apprécie votre lettre ouverte et entends vos réticences. Je partage sans réserve certaines de vos critiques et en porte même d’autres, différentes.
Et pourtant, comme je m’en suis publiquement ouvert aujourd’hui (https://cincivox.wordpress.com/2016/03/21/a-propos-du-printemps-republicain/), si tout est loin d’être parfait, je souhaite soutenir le Printemps républicain. Il nous offre l’opportunité de lutter ensemble contre nos adversaires communs : identitaires et libéraux. Je pense que le combat républicain, pour être cohérent, doit se livrer sur ces deux fronts. Vous savez aussi bien que moi, au Comptoir, combien la bataille culturelle est cruciale, combien le terrain des idées est important. La passion du politique, que nous partageons, exige l’engagement civique. Celui-ci peut prendre moult formes et ce site même en est une. Le Printemps républicain peut en être une autre.
J’ai vu hier des dizaines, des centaines de personnes, se rassembler autour d’enjeux qui leur paraissent primordiaux : la laïcité, la République, la citoyenneté, la Nation. Aurait-il fallu parler plus de souveraineté ? d’économie ? de social ? de travail ? de relations internationales ? d’écologie ? d’éducation ? de santé ? Oui. Sans doute. Parce que toutes ces questions s’articulent de manière complexe, ont toutes quelque chose à voir les unes avec les autres et, surtout, avec celle qui était au cœur du sujet d’hier : la laïcité. Ces imperfections, ces maladresses éventuelles condamnent-elles pour autant l’événement ? Je ne le pense pas. Les citoyens assemblés hier ont présenté des convictions variées, des opinions parfois contradictoires. Ça a parlé, ça a râlé, ça s’est même parfois un peu engueulé. Le Printemps républicain ne me semble pas monolithique. Tant mieux ! Les sectes me répugnent.
Comme au Comptoir où la pluralité des voix enrichit la pensée, je souhaite voir, au Printemps républicain, le partage de la parole et de l’action participer à « l’édification d’un monde commun » (vous connaissez mon faible pour Arendt). Essayons !
Amitiés républicaines
Cincinnatus
https://cincivox.wordpress.com/
A reblogué ceci sur jacmarat.
Bonsoir Kevin, Cincinnatus et Le Comptoir,
mon avis sur ce Manifeste pour un Printemps républicain est partagé : je comprends la nécessité d’un tel mouvement tout en me méfiant de son caractère incantatoire.
J’estime louable que des citoyens se rassemblent pour la laïcité en rejetant les communautarismes, le racisme, l’islamisme, le FN et toutes les tentations du repli identitaire. La laïcité n’est de surcroît pas indissociable des autres valeurs fondamentales de la République : la défendre, c’est donc défendre ces dernières. Enfin, ce manifeste s’affirmant de gauche, le souci de justice sociale ne m’en paraît pas absent : après tout, la laïcité est censée consacrer l’égalité.
Nous avons aujourd’hui besoin de citoyenneté, c’est-à-dire d’être au service de valeurs qui dépassent nos droits particuliers : la laïcité est une synthèse de ces valeurs puisqu’elle valide l’existence de l’espace public, celui où chacun peut exprimer librement ses convictions, tout en devant respecter celles d’autrui. La République, en quelque sorte, sacralise cet espace. La laïcité est effectivement notre bien commun. Militer pour elle est d’autant plus légitime que l’essor des communautarismes – qui sont des formes collectives d’individualisme dans le sens où ils sont définis par des revendications identitaires – est un phénomène lié à l’expansion du néolibéralisme, idéologie prônant la supériorité des intérêts particuliers sur l’intérêt commun.
Vous avez cependant raison, Kevin, de vous méfier d’une déclaration d’intention n’affirmant pas clairement l’urgence de mesures politiques, sociales, culturelles et économiques nécessaires à la renaissance des valeurs républicaines et démocratiques. Il est de plus à craindre, vu la crise politique que la France traverse, que ce manifeste apparaisse, aux yeux d’un peuple désabusé, comme une nouvelle poudre aux yeux émanant de la gauche de type PS, dans la lignée des mensonges pseudo-humanistes de l’ère Mitterrand (instrumentalisation de l’antiracisme et de l’antifascisme via SOS Racisme, comme vous le mentionnez, slogan « La France unie » de la campagne présidentielle de 1988, etc), et que, pour sincère qu’il soit, il n’en devienne pas moins, dans ses effets, coup d’épée dans l’eau. Je ne peux cependant rester insensible à cet appel : au moins, la gauche s’efforce-t-elle de se mobiliser, et la République de se réveiller.
Cordialement,
Stéphane