Politique

Merci Macron !

Depuis son élection à la présidence de la République en mai 2017, Emmanuel Macron mène quotidiennement une séance d’hypnose collective sur une partie des Français. Après avoir carbonisé à peu près tous les camps politiques du pays, son mouvement La République en marche (LREM) s’affirme jour après jour non pas comme “et de gauche et de droite” mais bel et bien comme une force viscéralement de droite, engagée dans la restauration de tous les fondamentaux de ce camp politique. En ce début 2018, on pourrait croire que l’entreprise est appelée à durer et pourtant…

Et pourtant, la situation est très claire. Comme l’explique le politologue Gaël Brustier, on peut voir LREM comme l’ultime canot de sauvetage de la bourgeoisie libérale française dépendante du capitalisme, qui entend préserver son train de vie au nez et à la barbe d’une grande majorité de la population. Ce bataillon est composé d’opportunistes – dont les meilleurs représentants sont sans doute Christophe Castaner et Aurore Bergé –, ceux qui ne sont rien sans leur chef. Ils tentent d’exister en vociférant des contre-vérités sur les réseaux sociaux, créant de toutes pièces une autorité dont ils sont dépourvus, s’agrippant désespérément aux lambeaux d’une république en faillite. D’ailleurs, cette bourgeoisie ne prend même plus la peine de cacher ses intentions : elle les crie avec une grossièreté innommable, à l’instar de cette pauvre cheffe d’entreprise qui se plaignait, en décembre 2017, de ne gagner “que” 5 000 euros par mois pour son siège de député. Représentants de l’extrême centre, les membres de cette classe déploient leur cynisme à longueur d’antenne pour expliquer qu’ils sont fiers de nous maintenir la tête sous l’eau pour s’engraisser. Et quand ils doivent essuyer un désaccord, ils se montrent procéduriers, menaçant leurs opposants d’attaques en justice, comme de petits roquets habitués à mordre au moindre caprice, sous les yeux bienveillants de leur maître. Les partisans de Macron ont définitivement fait sécession du peuple, et ils lui déclarent la guerre.

Nous ne parlerons pas ici des “premiers de cordée”, plus communément appelés ultra-riches, qui représentent un tout petit pourcentage de la population. Ceux-là ne touchent plus terre depuis longtemps et vivent aux crochets d’un système qui s’est plié à tous leurs desiderata : à ce titre, ils ne nous intéressent pas. Intéressons-nous plutôt à leurs hommes de main. Pour l’heure, ce qui doit nous questionner en premier chef, c’est la manière dont le banquier-président parvient à hypnotiser des milliers de personnes qui n’ont aucun intérêt à soutenir sa politique, chose à laquelle Sarkozy lui-même n’était pas parvenu.

L’hypnose collective du “juste milieu”

En avril 2017, Emmanuel Macron et Marine Le Pen parvenaient au second tour de l’élection présidentielle. Tous deux avaient développé, tout au long de leurs campagnes, une rhétorique présentée comme anti-système, “et de droite, et de gauche” pour le premier, “ni de droite, ni de gauche” pour la seconde. C’est finalement cette manière de produire du discours qui a été la grande gagnante de ces élections : elle s’apparente à une forme de confusionnisme institué en vérité d’État. À grand renfort de triangulation – un mode de propagande politique qui consiste à jouer sur tous les tableaux idéologiques pour plaire à un large éventail d’électeurs –, mais aussi grâce au renfort des médias et à la peur inspirée par la candidate du FN, le fondateur d’En marche est parvenu à ravir l’Élysée. Depuis lors, c’est comme s’il n’avait pas cessé sa campagne : Macron ne se contente pas de gouverner, il veut aussi que sa vision du monde se visse dans le crâne des Français. Pour ce faire, il use et abuse de la triangulation à chacun de ses discours : il s’agit, au moins en apparence, de plaire à tout le monde, c’est pourquoi on l’a vu se déclarer à la fois – parfois dans la même phrase – pour et contre le nucléaire, républicain et monarchiste, ou encore anticolonialiste et colonisateur. Jonglant avec des débats sérieux réduits à des mots en putréfaction, il s’amuse à observer le résultat de son bla-bla contradictoire dans les arènes politiques où ses opposants réels ou supposés s’écharpent. François Hollande, président au charisme digne de celui d’un bigorneau, était connu pour prononcer des discours vides et désincarnés. Macron est tout aussi transparent, mais il pouvait difficilement faire pire que son prédécesseur dans le domaine de la communication : sa prétendue “pensée complexe” – qui fonctionne en réalité sur le même principe que la double pensée orwellienne – n’hypnotise les foules qu’à cause d’un concours de circonstances favorables. Pour combien de temps, encore ? Le vernis paraît si fin qu’il ne faudrait qu’une pichenette pour le faire craquer.

Une chose reste sûre, cependant : notre président est un vrai libéral, et c’est à ce titre qu’il assure réaliser tout ce qu’il a promis. Sur ce point, on ne peut malheureusement pas lui donner tort, puisque quelques mois lui auront suffi pour dynamiter le Code du travail, supprimer l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et faire du licenciement de masse un objectif politique prioritaire. Engagé dans un libéralisme économique débridé, Emmanuel Macron perpétue l’œuvre de ses prédécesseurs en l’intensifiant et en la justifiant par des propos relativistes et mensongers, où il s’agit toujours de maintenir la fiction d’un intérêt général largement nébuleux. Alors que les riches n’ont jamais été aussi riches et que les pauvres n’ont jamais été aussi pauvres, il devient impossible d’y croire. Et si nous étions un peu cyniques à notre tour, nous pourrions admettre un intérêt à ce quinquennat commençant : il risque de convaincre la majorité des Français que l’idée de consensus est une fiction politicienne et que le “juste milieu” n’existe pas.

Le gendre idéal de la droite française

On avait vu venir la casse sociale en préparation dès l’arrivée de Macron dans la course de l’élection présidentielle. On avait moins anticipé ses penchants conservateurs, conjugués à son amour de l’État dans tout ce qu’il a de plus dégoûtant.

L’autoproclamée “droite des valeurs”, représentée médiatiquement par Eric Zemmour, par Patrick Buisson ou par la jeune Eugénie Bastié, n’a eu de cesse durant tout le quinquennat Hollande de fustiger la politique libérale-libertaire du PS, dans l’espoir de ramener vers ce qu’elle appelle le “camp du réel” les électeurs égarés entre deux eaux. Pour cette droite-là, qui n’a de réel que le porte-monnaie, ce fut un échec cuisant au soir du premier tour. Ses représentants, qui se sont montrés volontairement taquins durant le quinquennat précédent, ont voulu se faire passer pour des gaullistes sociaux, espérant faire venir à eux des hommes et des femmes de gauche attachés à l’État et au mythe de la France éternelle. Ce camp a perdu les élections, mais il a partiellement réussi son OPA sur les esprits grâce à la psychose collective engendrée par les attentats qui ont frappé le pays en 2015-2016, imposant à une partie de la gauche sa lecture du monde, et donnant naissance aux “néo-républicains”. Le concept, façonné par le démographe Emmanuel Todd, recouvre une partie de la classe politique qui a décidé de mettre au second plan toute réflexion économique et sociale au profit des questions identitaires et religieuses, opérant au passage une saisie du concept de laïcité, sous l’égide de Laurent Bouvet, spécialiste de l’oukase numérique.

Droite et gauche centristes ont pris conscience qu’à tout prendre, elles partageaient un tissu de valeurs communes, au-delà de leurs clivages culturels traditionnels. Elles ont entrepris de redessiner la panoplie d’une bourgeoisie du XXIe siècle, qui ressemble fort à l’orléanisme du XIXe. Or, il semble qu’Emmanuel Macron avait vu venir ce basculement et en tire aujourd’hui profit dans sa gestion du pays. Refusant de prendre trop nettement parti sur la questions des valeurs, il a tout de même enclenché une dynamique conservatrice dans certains des ministères les plus importants du pays, à l’exemple de celui de l’Éducation nationale. En nommant Jean-Michel Blanquer à sa tête, il a calmé du même coup les “néo-républicains” et une partie de la droite conservatrice, qui le traite depuis quelques mois avec bien plus de mansuétude que lorsqu’il siégeait au ministère de l’Économie. Par ailleurs, en autorisant Marlène Schiappa, ministre du droit des femmes, à donner une interview exclusive au très droitier mensuel Causeur, il a lancé un signal supplémentaire en direction de cette galaxie préoccupée par le devenir culturel de la France. Les mains tendues se sont ainsi bien plus adressées au pôle droit qu’au pôle gauche de notre échiquier politique, sans doute davantage par calcul politique que par conviction. Il faut dire qu’aujourd’hui, l’Assemblée nationale est loin d’être à gauche.

Bien sûr, tout cela n’est que du vent : Blanquer surjoue son anti-pédagogisme primaire et lance des polémiques qui ne coûtent pas cher à propos du téléphone portable à l’école tout en promouvant l’idée d’une école-entreprise, quand Schiappa mime les obsessions présidentielles pour la nuance pédante et inutile, instrumentalisant la cause féministe et réactivant du même coup des débats qui n’ont plus lieu d’être. Ne parlons même pas de Gérard Collomb, qui a accepté d’endosser le rôle de premier salaud gouvernemental et qui s’en plaint comme un Calimero. Il n’empêche qu’en conjuguant cet écran de fumée à sa défense des classes favorisées, Emmanuel Macron s’aliène tout un pan de l’actuel Parti de l’ordre et du camp libéral-conservateur, qui voit en lui le gendre idéal, prêt à réaliser ce qu’aucun d’entre eux n’avait jamais osé faire. Ce n’est certainement pas pour rien que Jean-François Copé déclarait, fin 2017, que Macron était « en train de devenir le président de droite dont les gens voulaient ».

Par pur opportunisme, le banquier-président a donc abandonné son étiquette “progressiste” dès le lendemain de son élection, en surfant sur les forces en présence. Les Républicains et le Parti socialiste sont aujourd’hui deux zombies de la politique totalement phagocytés par En marche, mais il faut dire que les premiers ont encore quelque assise locale comparé aux seconds. Rien ne fut plus facile que le mariage entre l’aile libérale du premier et l’aile droite du second. Gageons que l’extrême centre, qui compte désormais représenter à la fois le pouvoir officiel et son opposition dans un grand gloubi-boulga, saura encore une fois retourner sa veste en cas de déroute électorale de la droite lors des futurs scrutins locaux.

Restaurer l’autoritarisme en tuant l’État social

En gouvernant le pays comme on gèrerait une start-up, en pratiquant une démocratie des sondages et en confondant volontairement démagogie et pédagogie dans une logique de contrôle social, Emmanuel Macron n’est pas sans rappeler le « président A », empereur cynique et technocrate aguerri imaginé par Alain Damasio dans son roman La zone du dehors.

Sous le quinquennat Hollande, on a découvert le tyran avec ses diatribes sur les fonctionnaires, son mépris pour le petit peuple et ses lubies capitalistes à la sauce Uber. On aurait pu penser, à raison, avoir affaire à un authentique libertarien, mais l’expérience nous montre que l’État ne le gène aucunement lorsqu’il s’agit d’opprimer les plus faibles et de mettre en branle tout un arsenal idéologique contre ses opposants. Autoproclamé candidat du renouveau, le président des riches n’a que de l’ancien à proposer. Loin de l’horizontalité promise lors de sa campagne, son mode de gouvernement, dans son mouvement et en dehors, est à l’image de la Ve République qu’il s’est donnée pour mission de ressusciter : vertical, injuste et arbitraire. C’est paradoxalement dans ce contexte que le président assure vouloir commémorer – récupérer serait un mot plus juste – les cinquante ans des mouvements sociaux dits de Mai 68.

Depuis son élection, et après être parvenu à propager la gangrène LREM au sein de l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron met toute son énergie à tuer l’ensemble des lois et principes qui garantissaient la cohésion et l’équilibre des forces sociales en France. En moins d’un an, le bilan dont ses troupes s’enorgueillissent est celui-ci : baisse des aides sociales, coupes budgétaires, baisse des salaires et plan de “départ volontaire” dans le secteur public, explosion du Code du travail, dynamitage de la solidarité nationale par la baisse ou la suppression de certains impôts, licenciements à tire-larigot dans des entreprises pourtant bénéficiaires, ce à quoi on peut ajouter le renoncement systématique sur quasiment tous les dossiers écologiques, le suicide et la dépression de nombreux travailleurs usés jusqu’à la corde et la persécution d’État envers les réfugiés.

Dans le même temps, les forces progressistes du pays se sont laissées tenir en respect par une horde d’individus procéduriers et par Macron lui-même, qui met un point d’honneur à mener une guerre sans relâche aux moindre critiques – même timides – de sa politique. Dans les grands médias comme sur les réseaux sociaux, une armada de pasionarias semble travailler activement et au quotidien à imposer de force la vision du monde macroniste à coup de contre-vérités, de propos mensongers autant que relativistes, à tel point qu’on peut se demander, trois ans après la tuerie de Charlie Hebdo, si la liberté d’expression a déjà subi autant d’attaques de la part d’un gouvernement depuis un bon siècle.

Alors que la France est sous Prozac et que les opposants à la Macronie sont désorganisés, on ne traîne pas des pieds, à l’Élysée, pour tenter de restaurer le mythe désuet du monarque républicain. Après les dérapages contrôlés du président sur le prétendu besoin vital des Français à être gouvernés par un roi, on a pu assister à un decorum tout à fait princier lors des nombreuses cérémonies officielles organisées par des communicants zélés. Les symboles utilisés, tout comme les mots des discours et le choix des lieux, ont été très bien analysés par divers journalistes de la presse généraliste, raison pour laquelle il est inutile de s’étendre ici sur le sujet. Notons tout de même que tout ce decorum a pour but de verrouiller toute opposition en réhabilitant la figure de l’homme providentiel à qui sont naturellement dues servitude et loyauté. Il est d’ailleurs regrettable qu’un Mélenchon, qui se targue d’être la première figure d’opposition au macronisme, fasse lui-même son miel à partir de ces écueils dépassés, alors même que le programme de la France insoumise défendait l’idée d’une constitution plus démocratique lors de la dernière campagne présidentielle.

Libéral et conservateur dans le fond, autoritaire dans la forme, il n’est pas étonnant que ce gouvernement séduise les éléments les plus droitiers de l’électorat du Front national en ce qu’il développe en acte un retour aux fondamentaux du FN de la fin des années 1980, qui avait alors pour mot d’ordre la haine des pauvres conjuguée à la lutte contre l’assistanat et l’immigration. À ce titre, l’action politique d’Emmanuel Macron peut être considérée, sans ironie aucune, comme une maréchal-lepénisation à peine soft de la société française.

À gauche de Mélenchon, un fourmillement d’idées radicales

Alors que les troupes de LREM mènent une véritable guerre de classe et s’emploient à brouiller les cartes politiques avec ce fameux “et de droite, et de gauche”, c’est toute la vie politique française qui est déstabilisée, à commencer par la France insoumise, qui mène un combat institutionnel important mais inefficace face à la secte libérale d’Emmanuel Macron. En effet, Mélenchon et ses lieutenants, qui prônent le débat démocratique et la nécessité d’imposer dans le calme et par les mêmes moyens que leurs adversaires leur vision du monde, ne semblent pas se rendre compte qu’ils jouent actuellement le rôle qu’on veut bien leur donner. Grâce à eux, un débat fantoche semble exister au sein de l’Assemblée nationale, débat que l’on peut bien sûr saluer mais qui n’a presque aucun effet sur le réel et n’empêche pas le bulldozer d’avancer en détruisant tout sur son passage. Malgré tout, les cadres de la FI continuent à vouloir avancer seuls, prônant la politique de la table rase à gauche. Plus graves ont été les attaques répétées de Jean-Luc Mélenchon à l’encontre des syndicats qu’il a jugé inefficaces dans la lutte contre les ordonnances de la seconde Loi travail de manière très lapidaire, alors que le syndicalisme est avant tout une affaire de terrain, un moyen de lutte qui a fait ses preuves et qui, pour cette raison, est droit dans le viseur d’Emmanuel Macron.

Quant aux principaux soutiens de Jean-Luc Mélenchon, qu’ils soient journalistes, étudiants, philosophes ou simples militants, ils semblent plus occupés à s’embourber dans des théories fumeuses, cherchant désespérément à théoriser sur des notions aussi floues que celle de “peuple”, qu’à s’intéresser vraiment à la vie et au quotidien des personnes qu’ils prétendent défendre. Inutile d’attendre de leur part une quelconque critique de la triangulation, puisqu’elle fait partie de leur ADN communicationnel à eux aussi. La stratégie choisie par la FI, que l’on peut qualifier de “populiste”, entend surfer sur le patriotisme et le jacobinisme au moment même où ces derniers reviennent dans l’Histoire sous la forme d’un nationalisme entrepreneurial conjugué à une hyper-présidence agressive. Habile calcul électoral et tentative hasardeuse de “reconstruire un peuple”, ce chemin n’est-il pas, avec de tels précédents, promis à devenir un gouffre ? En faisant du souverainisme son étendard, le camp dit “progressiste” – qui a bien des raisons d’en vouloir à l’inhumaine Union européenne – ne risque-t-il pas de s’abîmer sur un terrain qu’il cultive mal et de voir ses fondamentaux sociaux, écologiques et humanistes passer au second plan ?

Même si elle agite les bras et qu’elle peut s’enorgueillir d’excellents représentants, à l’instar de François Ruffin, la gauche mainstream semble donc profondément endormie. Mais dès qu’on veut faire l’effort de se décaler un peu plus à gauche, on peut constater une réelle émulation intellectuelle et militante qui ébauche sûrement une opposition plus dure et plus incorruptible au macronisme. Revenues en force après les mouvements sociaux de 2016 contre la loi El Khomri, la gauche radicale et l’ultra-gauche sont plus divisées que jamais, mais il se peut qu’elles se retrouvent prochainement sur des idées communes avec une même envie de nuire. Émancipée des partis, cette “gauche hors les murs” va schématiquement de Bernard Friot, qui a fondé son Réseau salariat pour diffuser ses idées réformistes radicales concernant le travail et la Sécurité sociale, aux décroissants et aux collapsologues, qui pronostiquent l’auto-effondrement prochain de notre système, en passant par les anarchistes et les autonomes. Si Bernard Friot peut (et doit) vite inspirer des réformistes conséquents et désireux de revenir à leurs fondamentaux marxistes, les partisans d’une écologie radicale doivent être pris au sérieux, car ils représentent un mouvement radicalement antilibéral, qui semble irrécupérable par le capitalisme. Leurs portes-voix sont nombreux et écoutés, à l’instar de Serge Latouche ou Philippe Bihouix pour ceux qui se revendiquent de la décroissance, mais aussi de Arne Naess et Pablo Servigne pour les partisans d’une écologie profonde. Quant aux anarchistes, ils semblent montrer le chemin politique le plus cohérent à une époque de destruction des services publics, d’État policier et d’injustice : se passer de l’État en s’auto-organisant, en luttant contre toutes les structures du capitalisme pour en hâter l’effondrement. Autant d’éléments que l’on peut retrouver dans le zadisme, qui s’illustre comme la fusion pratique de ces divers combats, avec une préoccupation pour l’ici et maintenant couplée à une critique de l’idéologie du progrès technique et de la société de consommation.

Chaine humaine à Notre-Dame-des-Landes, 11 mai 2013

Pour gagner face à Macron, notre camp ne pourra pas se contenter de politiciens professionnels qui acceptent de jouer selon les règles qu’on leur impose. Maintenant que la jonction entre écologie et social s’est opérée chez les réformistes, il est nécessaire que le mariage du socialisme et de l’écologie se fasse au sein des cercles les plus radicaux pour qu’existe une dynamique rouge-verte radicalement anticapitaliste à gauche de la France insoumise.

Récemment, la décision gouvernementale d’annuler la construction de l’aéroport à Notre-Dame-des-Landes a montré que lorsque les deux dynamiques se conjuguaient et qu’elles étaient durablement soutenues par une lutte active, elles pouvaient triompher. Le combat que les zadistes ont mené durant des années par l’occupation et la défense d’un territoire en vue de le préserver d’une destruction inéluctable est un exemple à suivre pour les anti-macronistes désireux de passer de la théorie à la pratique. À bien des égards, cette décision est d’une importance capitale, ne serait-ce que parce qu’elle constitue la première victoire d’une lutte authentiquement progressiste depuis longtemps, lutte qui a d’ailleurs reçu le soutien de la majorité des Français.

L’expérience menée à Notre-Dame-des-Landes ne fait que commencer : elle doit se pérenniser pour devenir un exemple de contre-société, après être parvenue à empêcher un projet inutile et dévastateur. On ne peut gagner face à un ennemi si on use des mêmes armes que lui sur un terrain qui lui est favorable : pour le déstabiliser, il faut le forcer à adopter des règles différentes des siennes. On ne se débarrasse pas d’un tel ennemi en attendant sagement les élections : on le fait à coups de fourche.

Il n’existe aucune fatalité qui nous obligerait à demeurer les spectateurs d’une inéluctable catastrophe que nous serions les premiers à subir. Nous n’avons aucune raison de laisser Macron nous imposer ses années de plomb : que les ZAD et les micro-résistances fleurissent partout, dans les boîtes, dans les administrations, dans la rue, dans les campagnes,  pour qu’elles causent toujours des idées noires à tous les sinistres, de Manuel Valls à Marine Le Pen. Comme le disait si bien Sartre, « jamais nous n’avons été aussi libres que sous l’Occupation » : espérons que la suite de ce quinquennat sonne le réveil de notre liberté.

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6 réponses »

  1. Un petit mot …La France insoumise est un mouvement de 500 000 personnes déclarées. Ne parler que de Jean Luc mélenchon sans parler du programme de l’Avenir en commun, qui relie le mouvement me paraît être un regard tronqué. De plus j’ai lu quelques part que l’insoumission est un humanisme universel où la gauche radicale a sa place.

  2. D’accord et…j’ai le sentiment (ce n’est qu’un sentiment…) que la personnalité de Mélanchon constitue un frein à la dynamique d’union. Il est entendu que son action (le programme) a été décisive pour doper les résistances aux politiques de droite, au début, mais après l’évacuation du parti de gauche, et cette personnalisation extrême dans le mouvement présenté comme unique et indispensable… Je crains que l’union attende encore longtemps. En fait le capitalisme se les frise ! Alors admettre que les différences secondaires doivent s’effacer (au moins un temps, c’est aussi le temps de la démocratie !), en sorte que la PRIORITE se manifeste, l’Union, et qu’enfin l’UNION fasse basculer la situation…Oui mais qui est prêt à admettre que la « priorités priment » : les verts, les rouges, les anarchistes, les citoyens ordinaires de bonne foi, ceux qui savent bien ce que subir veut dire? Quelle que soit l’analyse (ou le sentiment ! ) le constat d’échec brouille la réflexion. L’hypnose opère. Les minorités vaguement lucides dont je fais partie doutent d’elles mêmes. L’attentisme prend le dessus, le courage manque et, de nouveau, les spéculations sur l’auto-effondrement du système viennent perturber tout désir d’action (je parle pour moi du haut de mon grand âge ! ). reste l’espoir, mais c’est mince comme programme politique…et les modes d’actions vertueux sont encore le fait de marginaux, quand bien même le succès provisoire (ou pas) des « dossiers ZAD » nous comblent… Certes un répit de l’artillerie ennemie pouvait donner du temps, pour autant la peur persistait, je suppose. D’ici je ne vois aucun répit, c’est bien ce qui fait psychose…

  3. Différentes réflexions se mêlent dans cet article, certaines justifiées, d’autres moins cohérentes me semble-t-il. Il me paraît déjà peu utile de s’attarder sur les conditions de la prise de pouvoir de Macron –à la « pensée » particulièrement étroite et limitée (la « qualité » de nos présidents allant de Charybde en Scylla)– dont le rôle personnel peut se définir très simplement: être le serveur vocal et agissant au service des actionnaires, au cynisme débridé. S’agissant du « souverainisme » qui pourrait nuire aux actions de la FI, c’est une interprétation qui est loin de sauter aux yeux. Ses principaux « dirigeants », Mélenchon pour le premier, n’ont jamais soutenu qu’il fallait sortir de l’UE et de l’euro. Certains ont même clairement affirmé le contraire. Et il s’agit bien, en effet, d’une question essentielle mais, contrairement à l’opinion défendue dans l’article, c’est justement ce manque de clarté « souverainiste » qui pose problème. Comment pourrait-on envisager une action puissante, une mobilisation en vue d’une transformation profonde de la société, l’application de quelque programme progressiste que ce soit,… sans reconquête des souverainetés populaire et nationale? Sans la maîtrise totale de ces souverainetés…c’est accepter que décision et pouvoir soient ailleurs, échappant à tout contrôle populaire. Et comment pourrait-on retrouver ce souverainetés sans sortir de l’UE et de l’euro (et de l’OTAN…)?
    Faire l’union? Certes, mais entre qui et qui, quoi et quoi? Avec des Verts européistes et souvent peu anticapitalistes, un PC dirigé par des sociaux démocrates de couloir récitant leur bréviaire de « l’Europe sociale », la FI pas trop socialiste et encore un peu européiste, des syndicats divisés plutôt prêt à refuser les puissantes actions de masse unitaires,…C’est le résultat de décennies d’absence de lutte idéologique, de vide politique et intellectuel absolu que nous payons aujourd’hui. C’est bien en ce domaine que doit porter notre réflexion, sachant qu’il y a tout un chemin à reparcourir. J’ai constaté que plusieurs courants, plus ou moins marxisants ou libertaires commencent à renaître…L’aspiration à une vie libre et meilleure ne meurt jamais…
    Le DRH élyséen des proxénètes de la finance, convaincu d’avoir maté la France et les Français, se permet de déballer la marchandise et de montrer son horizon: c’est désormais la « souveraineté européenne » qui seule doit régner. (Quels pauvres cons ces Jean Moulin et ces Manouchian!…). Nous sommes rendus au point, dans l’ombre portée de la Résistance, où nous devons faire un choix décisif: ou accepter de se soumettre à l’immondialisation capitaliste, gérée en nos colonies par l’UE, ou concevoir la nécessité, mettant nos divergences de côté, de constituer un CNR nouveau pour préparer un programme garantissant avec encore plus de rigueur le contenu politique et social de notre république. Ne serait-il pas temps d’entrer en réelle Résistance?…
    Méc-créant.
    (Blog: Immondialisation: peuples en solde!)

  4. Petite synthèse fort claire et précise des différentes problématiques à l’œuvre dans la figure paroxystique de Macron qui symbolise cette politique monolithique engagée depuis plus de trente ans. Vous parvenez nettement à mettre la focale sur la spécificité du vernis et de la tartuferie macronien. Même si je suis plutôt d’accord avec l’idée générale de la « ZAD », j’avoue que je suis plus circonspect sur le terme en lui-même et tout le « folklore » qui l’englobe avec l’exemple de NDL par exemple ; c’est évidemment une piste d’action très sérieuse. Cordialement.

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